Rita Hajj
A turn on, a turn off, 2021
À l’occasion de Net Encounters, l’artiste Rita Hajj partage pendant un mois une diffusion en direct de sa machine à café. Elle invite le public à télécharger des images de sa cafetière ou de sa théière, tandis qu’elle élabore une réflexion sur l’histoire du Web et sur l’évolution des diffusions en direct et des interactions en ligne.
À l’occasion de Net Encounters, l’artiste Rita Hajj partage pendant un mois une diffusion en direct de sa machine à café. Elle invite le public à télécharger des images de sa cafetière ou de sa théière, tandis qu’elle élabore une réflexion sur l’histoire du Web et sur l’évolution des diffusions en direct et des interactions en ligne.
En 1991, le laboratoire informatique de l’université de Cambridge a installé une caméra pour fournir à ses équipes des images en direct de leur machine à café. Quelques années plus tard, la caméra a été reliée à Internet, donnant ainsi lieu à l’une des premières diffusions live. Dans turn on,turn off, Rita Hajj reconstitue cet événement historique dans son studio, en permettant au public de visionner sa propre machine à café via un site Internet. Elle invite également les utilisateurs et utilisatrices à partager une photo de leur propre cafetière. Il leur faut pour cela se rendre sur le site correspondant, accepter la participation et charger leur cliché. Une image générée par un algorithme entraîné à l’aide de données relatives à des cafetières leur est alors envoyée. Rita Hajj formule ainsi une subtile critique envers les dynamiques sociales et commerciales qui se sont développées en ligne. Auparavant espace d’échanges mutuels, Internet s’est mu en un terrain sur lequel les utilisateurs et utilisatrices sont exploité·e·s à leur insu pour la collecte d’informations destinées au profit.
Rita Hajj déclare:
«Ces travaux ont émergé d’un questionnement sur une rencontre avec une image numérique. Ils reconstituent ce que l’on a considéré être la première webcam au monde, mise en place en 1991 par des scientifiques à l’université de Cambridge en Angleterre. Ultérieurement, en 1993, cette même caméra transmettait, en direct via un ordinateur, des images de surveillance de la machine à café: trois fois par minute, une photo de celle-ci était diffusée dans le réseau mondial. Il se raconte que des millions d’enthousiastes de la technologie ont consulté ces images, en ont parlé sur différents médias et ont échangé de nombreuses anecdotes à ce sujet. «D’abord nouveauté, puis icône d’envergure mondiale et enfin artefact historique», le mécanisme a été désactivé en 2001 et la machine à café a été vendue aux enchères sur eBay pour 3300 £. De l’émergence de ce moment à sa reconstitution dans le contexte et dans l’histoire du Web, il ne s’agit pas de témoigner d’un passé ayant conduit aux messageries vidéo ou au commerce en ligne en temps réel, mais de mettre en lien les interactions et les transactions. Les interactions sur le Web social ont la prétention de se vouloir inclusives, en soulignant l’idée séduisante d’un réseau humain solidaire: un vivre-ensemble mondial. Nous, utilisatrices et utilisateurs, approuvons cette vision alléchante, bien que nous ayons conscience de sa dimension non démocratique. Nous pourrions nous demander: à qui appartiennent les technologies utilisées? À qui sont-elles accessibles? Pourquoi, en tant qu’utilisatrices et utilisateurs, acceptons-nous un pouvoir qui nous séduit, non seulement à travers le recours à la technologie, mais également à travers la production d’images?»
Née en 1993 à Beyrouth, Rita Hajj est une artiste et designeuse basée depuis 2016 à Genève. Après son diplôme, obtenu à l’Académie Libanaise des Beaux-Arts en 2014, elle a achevé en 2018 un Master à la Haute école d'Art et de Design-Genève. Entre nouveaux médias, écriture, scénographie et performance, sa pratique est une recherche continue, qui explore la production d’images contemporaines et sa corrélation avec l’histoire et la technopolitique. Les œuvres de Rita Hajj ont été présentées dans des expositions collectives à LiveInYourHead (Genève), à one gee in fog / two gees in eggs (Genève), au CAC-Brétigny (Brétigny-sur-Orge) et à l’Institut du Monde Arabe (Paris). L’artiste a également participé à plusieurs programmes à l’Istituto Svizzero (Rome), la Haus der Statistik (Berlin) et à la Kunsthalle im Lipsius-Bau (Dresde). Elle a effectué récemment une résidence d’artistes à La Cité Internationale des Arts (Paris) et travaille actuellement à la publication d’un ouvrage aux Éditions Clinamen.
Remarque de l’artiste: ce projet a pu voir le jour grâce au soutien technique de mon collègue artiste et chercheuse Alex Gence.